Jurassic Park : Le pire process de certification du monde

Jurassic Park : Le pire process de certification du monde

J’ai toujours été sceptique vis-à-vis des labels et des certifications.
J’admets volontiers qu’un processus de certification a des vertus : s’évaluer pour s’améliorer, interroger ses pratiques, valider les efforts et les réalisations. Quelle fierté pour un dirigeant et pour les équipes que de prendre la mesure de ce qui a été accompli !
L’univers m’a doté d’un esprit critique qui prend assez peu souvent de RTT. Et de son point de vue, il y a des choses qui sonnent faux parfois.
Ne serait-ce que le nombre de labels : Super employeur, Entreprise où c’est qu’il fait bon vivre, boite plus cool que la plus cool de tes copines … Pourquoi une telle diversité ? Comment s’y retrouve-t-on ?
J’ai vu un certain nombre de trophées fièrement posés sur des bureaux. Les mêmes bureaux qui ont été les témoins silencieux de comportements très borderline. Comment voulez-vous que je soigne mon cynisme dans ces conditions ?

Parfois cela me fait penser à ces gens qui répètent à l’envie qu’ils sont bienveillants, honnêtes, ou généreux. Comme si à force de l’affirmer, les personnes autour d’eux allaient finir par en être convaincu.
Je regarde toujours avec suspicion les labels affichés dans les espaces communs. Je les soupçonne d’être là pour rappeler à Jean Michel en pleine pause cappuccino que son employeur le traite correctement, au cas où il aurait un doute.
Et puis qu’est ce qui rend le certificateur légitime ? Comment se passe l’audit ? Quels sont les critères ? Quand je passe du temps sur les sites internet des certificateurs je ne trouve pas de réponse claires à mes questions.
Je me suis tournée vers le cinéma pour en savoir davantage sur un process de certification. J’ai regardé un de mes films préférés sur le monde de l’entreprise : Jurassic Park.

Les raisons de la certification.
Rappel du contexte : John Hammond souhaite ouvrir un parc d’attraction d’un genre nouveau. Pour faire simple disons que c’est le zoo de Beauval, mais avec des dinosaures.
Il a dépensé sans compter pour proposer une expérience immersive dans le monde d’avant la météorite tueuse. Mais il a aussi fait appel à des investisseurs et ceux-ci ont besoin d’être rassurés. Ces derniers demandent donc que le parc soit certifié par des experts.
Les actionnaires choisissent un mathématicien spécialisé dans la théorie du chaos, et John Hammond préfère un binôme composé d’un archéologue et d’une paléontologue, Alan et Ellie.


Premier problème : le conflit d’intérêt.
A priori Alan et Ellie ne sont pas très chauds pour rendre ce service à John Hammond. C’est qu’ils ont déjà pas mal de dossiers en cours.
C’est là que John Hammond leur propose « un pognon de dingue » en échange de la certification (persuadé qu’il est de l’obtenir). Pognon de dingue qui serait bien utile à Alan et Ellie pour financer du brossage d’os de dinosaure sur plusieurs années. Ils sautent littéralement de joie face à cette merveilleuse opportunité et acceptent.
Comment garantir l’objectivité du certificateur quand l’évalué brandit sous son nez une telle récompense ? Comment être sûr qu’il n’y aura pas un biais de sympathie ?
Dans le cas présent l’objectivité est mise à mal.
Mais pendant que je doute nos trois larrons débouchent une bouteille de MOET pour fêter ça. Et c’est parti pour la bamboche.

Deuxième problème : le process.
L’équipe de certificateurs débarque sur l’ile et démarre son tour d’inspection. Tout a été pensé et organisé par John Hammond. Il a décidé de ce qui allait être présenté, comment, et dans quel ordre.

De mon côté de l’écran, ça parait gros ! Pourtant personne ne remet en question le fait que cela soit lui qui définisse et mette en œuvre le process d’audit auquel il est soumis.
Il surjoue la confiance en lui, prétendant avoir tout prévu, dépensant sans compter comme si c’était la garantie d’avoir anticipé tous les problèmes possibles.
[Il le dit 14 fois dans le film pour être sûr que nous ayons bien compris qu’il était turbo blindé !].


Troisième problème : LE PROBLEME
John Hammond a le profil du dirigent omniprésent qui veut être partout et tout gérer. La délégation n’a pas l’air d’être son point fort. Il est sur tout les fronts. De la R&D au marketing en passant par la RH. Il ne s’en vante pas, mais ça saute aux yeux.
Et justement la gestion des ressources humaines a l’air de pécher un peu à Jurassic Park. Johnny-John se vante d’avoir dépensé sans compter, mais il s’avère qu’il a compté au moins une fois quand il s’agissait d’augmenter Denis, l’informaticien tout puissant qui a la main sur TOUT le parc, de la lumière des toilettes aux enclos électrifiés.
Comme John n’a pas suivi ma formation sur la meilleure façon d’aborder les sujets de rémunération avec ses collaborateurs, il se montre trop directif et fermé avec Denis qui se vexe très fort.

Sauf que Denis est le type de personne qui ne lésine pas sur les moyens quand il se vexe. Il n’est pas du genre à bouder dans son coin et à se mettre en arrêt maladie le lundi qui suit.
De plus c’est clairement le genre de personne pour qui la rémunération EST une question d’argent.
Il coupe le courant du parc, et se fait la malle avec du matériel qu’il compte revendre à des concurrents. Mais comme on est à Hollywood et qu’il faut mettre en avant de belles valeurs il ne survivra pas à sa vilénie.

Bien fait.
C’est à ce moment là que les évaluateurs sont confrontés à la pire version du parc, après que John Hammond leur ai montré la plus belle. Un chaud-froid qui ne peut pas laisser indifférent.

L’important c’est les valeurs
Après avoir frôlé la mort 14 fois en 12h, Alan et Ellie décident qu’ils trouveront les fonds ailleurs pour financer leurs projets et refusent de certifier le parc.
John n’est pas surpris, et renonce à son projet … pour le moment.
Tout est bien qui finit bien dans le monde d’Hollywood où les certificateurs brandissent fièrement leur indépendance et leur honnêteté intellectuelle, et où le patron admet ses erreurs et accepte la sanction sans essayer de se trouver des excuses.


Tout est bien qui finit bien ?
L’univers a bien fait les choses en faisant en sorte que l’audit et la trahison de Denis aient lieu le même jour.
Mais si ce jour là l’univers avait regardé ailleurs, l’équipe de certification aurait passé la plus belle des journées et le parc aurait été homologué.

Avant que l’histoire ne tourne mal il y a eu des débats entre la direction du parc et les scientifiques. Ces derniers mettaient en doute la pertinence de réunir dans le même environnement deux écosystèmes que l’histoire de la Terre a séparé à coup de météorite. On parle science, éthique, et philosophie.
Mais est-ce que ces débats auraient conduit à un refus de certifier le parc si le vélociraptor n’avait pas fait le mur pendant le black-out ? J’en doute.
Et quand bien même l’équipe de scientifique aurait refusé de donner la certification cela n’aurait rien changé : elle a été demandée par les actionnaires, leur représentant validait le projet, et les enjeux financiers étaient trop importants.
Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’histoire. Les exemples sont nombreux, ne le nions pas.


Ce que je retiens de ce film :
–         Toutes les parties prenantes doivent être témoins du processus de certification (j’inclus évidemment les salariés et les partenaires sociaux)
–         Le process d’audit ne doit pas être défini par la personne qui sollicite la certification
–         Le certificateur ne doit pas être face à un conflit d’intérêt
–         L’échec de la certification doit donner lieu à des actions correctives de fond
Et surtout, SURTOUT, il ne faut pas bouger si on croise un T-REX ! La base !